Historique du télescope (4)
par Gaétan Herbinaux
publié le 22 février 2003
Un télescope est essentiellement un instrument qui sert à recueillir la lumière,
et
à
en recueillir le plus possible sans dégrader la qualité du message lumineux.
Contrairement
à
ce que croient les profanes, le grossissement du télescope importe
peu. Ce qui
compte
avant tout, c'est la qualité d'information lumineuse que l'instrument
réussit
à
amener au foyer, où se trouve l'œil de l'observateur, une plaque photographique
ou
un
récepteur électronique. Le pouvoir de résolution, c'est-à-dire la capacité
du
télescope
de séparer deux points très voisins, est directement lié au diamètre
du
télescope.
La turbulence atmosphérique limite cependant ce pouvoir de résolution.
Quant
au
grossissement, il est difficile en pratique de dépasser le facteur mille.
Le
facteur
sur lequel on peut le plus facilement agir est donc la quantité de lumière
recueillie,
qui
varie comme le carré du diamètre de l'objectif. Intervient aussi,
cependant,
le
besoin d'une focale courte afin d'obtenir, avec des poses relativement
brèves,
une
grande concentration de lumière sur un champ étendu (de quelques degrés
plutôt
que
les 10 à 20 minutes d'arc des télescopes habituels). Pour obtenir ces
deux caractéristiques,
l'opticien
d'origine estonienne Bernhard Schmidt inventa un
nouveau type de télescope,
qui
est un compromis entre le réflecteur et le réfracteur
: le miroir y est sphérique
plutôt
que parabolique et les aberrations sont corrigées
par une lame dite " correctrice
",
de forme particulière. On doit aux télescopes
de Schmidt une grande partie des
progrès
de l'astronomie récente ; le télescope de
Schmidt installé au mont Palomar
a notamment
photographié tout le ciel boréal jusqu'à
la magnitude 21. Naturellement,
les difficultés
de construction sont immenses. Le
télescope de Schmidt du CERGA
(Centre d'études
et de recherche en géophysique et
en astronomie), situé sur le
plateau de Calern,
au-dessus de Grasse, a un miroir
de 150 cm et une lame correctrice
de 90 cm, transparente
à l'ultraviolet ; l'accessibilité
à ces longueurs d'ondes
lui donne un atout précieux
vis-à-vis des autres télescopes
de Schmidt du monde
entier.
Le plus
grand télescope " conventionnel
" du monde a été, jusqu'en
1975, le télescope de
5 m du mont Palomar, capable de
recueillir un million de fois
plus de lumière que
l'œil humain, et donc de voir des
étoiles un million de fois
plus faibles. Sa réalisation
est due à la ténacité de
George Ellery Hale.
L'histoire
du géant optique
situé à 1800 m d'altitude,
dans les montagnes de Californie, entre
Los Angeles
et San Diego, appartient désormais
à l'histoire de la technologie. Hale
obtint
de la fondation Rockefeller le financement
nécessaire et lança dès 1928 le
projet
du nouvel instrument. Les premières tentatives
visant à couler un miroir
de quartz
échouèrent : la General Electric de Lynn, dans
le Massachusetts, jeta
l'éponge.
La société de fonderie de verre Corning, dans l'état
de New York, essaya
à son
tour. Cette fois, le matériau choisi fut du verre Pyrex.
Après les préparatifs
nécessaires,
la fusion advint le 25 mars 1934. Cette tentative
ne fut pas satisfaisante,
de
sorte qu'un second miroir fut fabriqué ; celui-ci réussit
parfaitement. Le refroidissement
du
miroir, de la température initiale de 3000° à
la température ambiante, demanda
environ
dix mois, durant lesquels la Corning fut
menacée d'une inondation. Transporté
dans
un wagon spécial à Pasadena, le disque
de verre fut soumis à dix années de
travail
visant à lui donner une forme d'abord
sphérique (de 34 m de rayon de courbure,
le
centre étant creusé de 10 cm par rapport
au bord), puis parabolique. Celle-ci
diffère
de la précédente d'un dixième de millimètre.
La
réalisation
de la partie
mécanique ne fut pas facile, elle non plus. Le tube du télescope,
long
de 17 m,
pèse à lui seul 125 tonnes ; le tout pèse 400 tonnes. Un tour de 44
m de
diamètre
a été nécessaire pour fabriquer la fourche de la monture équatoriale.
Le
diamètre
de la coupole qui abrite cet œil gigantesque est de 42 m. L'ensemble
fut
inauguré
le 3 juin 1948, alors que Hale lui-même, dont le télescope porte à juste
titre
le
nom, s'était éteint depuis dix ans.
Depuis 1975, le record,
en terme
de
surface collectrice, est détenu par le télescope de 6 m placé par les
Soviétiques
sur
le mont Pastoukov, dans le Caucase, à l'altitude de 2070 m. L'optique
y est
encore
conventionnelle, mais la monture est de conception différente. Généralement
les
télescopes
ont une monture équatoriale, c'est-à-dire qu'ils tournent autour d'un
axe
parallèle
à l'axe de rotation terrestre. Ainsi, le mouvement apparent de la voûte
céleste
peut
être compensé par un seul mouvement. Mais, avec les grands télescopes,
les
choses
ne sont pas si simples. Ils tendent à fléchir sous leur poids, de sorte
que
le
miroir subit des sollicitations diverses suivant l'inclinaison. Les techniciens
soviétiques
ont
donc choisi un autre type de monture, dite altazimutale : le télescope
est mobile
dans
le plan horizontal et dans le plan vertical. La monture est plus
sobre et plus
robuste,
et n'exige pas de plan d'étude spécifique au lieu d'observation.
Il y a
certes
le désavantage que le suivi de la voûte céleste demande deux mouvements
différents
suivant
deux axes de rotation, mais aujourd'hui les ordinateurs résolvent
très aisément
ce
problème.
Pour le reste, le télescope soviétique,
connu sous le
sigle
BTA (Bolchoï teleskop altazimoutal'nyi, grand télescope altazimutal)
est simplement
une
version agrandie de celui du mont Palomar. Tous les chiffres y
sont imposants,
tout
à fait conformes au désir soviétique de gigantisme. Le télescope
pèse 840 tonnes.
Malgré
cela, il glisse sur un très mince film d'hélium sous pression
et peut être
déplacé
avec un moteur électrique d'à peine quatre cents watts. La coupole
a un
diamètre
de 46 mètres et pèse 1000 tonnes : deux couches métalliques séparées
d'un
interstice
de 2 m garantissent l'isolement thermique. Le miroir principal pèse
42
tonnes.
Il a fallu deux années entières pour que le verre qui le forme (de 65
cm
d'épaisseur)
se refroidisse sans tension interne et sans former de bulle. La réalisation
optique
du
miroir primaire, aux usines LOMO de Leningrad, ne donna pas de résultat
satisfaisant
au
début. LOMO changea alors de matériel et choisit le Sitall, l'équivalent
du Cervit
utilisé
dans les pays occidentaux. Cette fois, l'entreprise réussit.
Le
BTA
est
en mesure de distinguer des étoiles un million et demi de fois plus faibles
que
celles
qui sont visibles à l'œil nu. Une bougie placée à trente mille kilomètres
ne
lui
échapperait pas. C'est beaucoup, mais ce télescope ne " descend " qu'une demi-magnitude
plus
bas
que le télescope de 5 m du mont Palomar. Le BTA, sous de nombreux aspects,
apparaît
en
fait comme un épigone. Les télescopes " conventionnels " (mais plus modernes)
construits
aujourd'hui
ont des diamètres d'environ 4 m, ce qui représente le meilleur
compromis
entre
coût et prestation. A cette catégorie appartiennent le télescope
Mayall de
Kitt
Peak, celui de Cerro Tololo au Chili, celui de l'observatoire européen
austral,
également
au Chili, le télescope anglo-australien (AAT) à Siding Spring,
en Australie,
le
télescope hispano-allemand à Calar Alto, en Espagne, ainsi que le
télescope Canada-France-Hawaii,
situé
sur la grande île d'Hawaii, au sommet du volcan
Mauna Kea, à 4200 m d'altitude.
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