Historique du télescope (1)
par Gaétan Herbinaux
publié le 22 février 2003
L'instrument scientifique qu'est le télescope a incontestablement influencé l'histoire
de
la
culture. On lui doit la preuve expérimentale de la primauté du système héliocentrique
de
Copernic
sur le système géocentrique de Ptolémée, avec toutes les conséquences
scientifiques,
philosophiques
et religieuses que ce bouleversement a impliquées.On
doit aussi aux lentilles et
aux miroirs des grands télescopes la découverte de l'univers
dans lequel nous vivons
et la prise de conscience de la fuite des galaxies depuis
le Big Bang. Et pourtant
les instruments optiques ont bien peu attiré l'attention
des
scientifiques au moment
de leur apparition.
Les premières lentilles
remontent
aux
maîtres verriers
du XIIIème siècle. Il en est fait mention pour la
première
fois
dans les constitutions
du métier des verriers vénitiens, datant de
1284 : on
y
parle de lapides ad legendum
e roidi da ogli, c'est-à-dire de " lentilles
grossissantes
et
lentilles pour lunettes
". L'idée d'assembler des lentilles différentes
pour
mieux
voir des objets lointains
était dans l'air dès la seconde moitié du XVIème
siècle,
mais
il s'agissait plutôt
de tentatives empiriques, sans théorie d'optique
géométrique
correcte
à l'appui.
Le Napolitain Giovan Battista Porta (1538 ?-1615),
mi-scientifique,
mi-charlatan,
publia
en 1558 un traité s'intitulant Magie naturelle,
qui devint
un best-seller
: 23
éditions latines, 10 traductions italiennes, 8 françaises,
ainsi
que d'autres
en
néerlandais, en espagnol et même en arabe. Dans l'édition de
1589
apparut une
première
description de la lunette. Cette description fut faite
plus
explicitement
dans
le De Refractione (de la réfraction) de 1593. Kepler fut
certainement
un lecteur
attentif
de ce livre et en tira motif pour construire son
propre télescope,
le
réfracteur
képlérien, prototype de tous les réfracteurs modernes,
qui utilise
une
lentille
appelée " objectif " pour concentrer la lumière avant que
l'image soit
grossie
par
une autre lentille, appelée " oculaire ". Il est moins sûr
que Galilée
ait
lu
les œuvres de Porta. Ce dernier, en tous cas, se sentit dépossédé
de cette
invention,
comme
il l'écrivit avec dépit en août 1609 dans une lettre à
Federico
Cesi, où
il s'attribuait
la découverte de la lunette en faisant référence
au De
Refractione.
Il est vrai
que, suivant une lettre de Leonardo Conosciuto au
cardinal
d'Este,
Porta s'apprêtait
à " faire un instrument pour voir loin ". Ce même
Porta
annonça
en 1586 au cardinal
d'Este qu'il avait construit des " lunettes qui
permettent
de
distinguer un homme
éloigné de quelques milles ". Des inventions analogues
sont
revendiquées
par Gualtierotti
en 1598 et par Nicola Zucchi en 1600.
Bien
vite,
la
technique se répandit.
Des modèles de lunettes du type de celle qui sera
appelée
plus
tard " galiléenne
" (à objectif biconvexe et oculaire convexe, et redressant
les
images)
furent
construits en 1604 par des lunetiers hollandais, parmi lesquels
Zacharias
Janssen
et
Hans Lippershey. Isaac Beeckman, un savant qui fréquentait l'atelier
du
premier,
écrivit
dans son journal une note très révélatrice : " Hans Janssen dit
que
son
père construisit
le premier télescope de ce pays en l'an 1604, en imitant
un
modèle
qui provenait
d'Italie sur lequel était écrit : anno 1590 ". Une piste
qui
nous
reconduit vraisemblablement
à l'édition de la Magie naturelle de Porta imprimée
en
1589.
Le fait est qu'il
devait déjà circuler quelques lunettes hollandaises dans
la
république
sérénissime
de Venise quand Galilée parla pour la première fois de
son
instrument,
dans sa
fameuse lettre du 24 août 1609 au doge Leonardo Donato.
Il
convient
de
signaler
que Galilée ne s'est jamais attribué la paternité de la lunette,
mais
plutôt
sa
redécouverte, son perfectionnement et son application à des études
d'astronomie,
trois
faits
qui ne peuvent lui être contestés. Le document le plus
éloquent est
la lettre
que
le savant pisan adressa le 29 août 1609 à son beau-frère
Benedetto
Landucci
:
"Vous devez savoir qu'il y a deux mois s'est
répandue
ici la nouvelle
qu'en
Flandres a été présentée au prince Maurice une lunette
fabriquée
par un procédé
tel
que des choses très lointaines nous apparaissent très
proches,
de sorte qu'un
homme
distant de deux milles peut être vu distinctement.
Cela me
parut être un
effet
si merveilleux que je me suis mis à y réfléchir ; et,
comme
il me sembla
que cela
devait trouver son fondement dans la science de la perspective,
je
me
mis à penser
à sa fabrication ; je finis par retrouver le procédé, et de façon
si
parfaite
qu'une
de celles que j'ai réalisées dépasse de beaucoup ce que l'on sait
de
celle
des
Flandres. Comme la nouvelle que j'en avais fabriqué une atteint Venise,
j'ai
été
appelé
il y a six jours par Son Altesse Sérénissime à laquelle je la montrai,
aussi
qu'à
tout
le Sénat, provoquant la stupeur infinie de tous."
Le
terme
"
télescope
" fut très probablement créé par l'un des membres de l'Académie
des
Lincei,
Demisiani,
et employé pour la première fois en public au cours d'un banquet
en
l'honneur
de
Galilée, le 14 avril 1611, par Federico Cesi, le mécène qui fonda
l'Académie
des
Lincei.
Quant à Galilée, il améliora sans cesse la qualité et la puissance
de
ses
lunettes.
La meilleure grossissait trente fois. Celle qui est conservée au
musée
de
l'Histoire
des sciences de Florence est formée d'un tube en bois de 92 cm
de
long,
recouvert
de cuir et décoré de dorures ; elle a un objectif biconvexe, avec
une
ouverture
utile
de 16 mm, une distance focale de 96 cm et un oculaire biconcave
(qui
n'est
pas
un original) ; elle grossit 20 fois. Il y a quelques années, à l'observatoire
d'Arcetri,
près
de
Florence, deux lunettes utilisées par Galilée furent placées à
des fins
didactiques
sur
la monture de la lunette équatoriale réalisée par Giovanni
Battista
Amici (opticien
renommé
et éminent botaniste) ; les observations décrites
dans le
Sidereus nuncius
(le
messager céleste) furent répétées : elles concernaient
la Lune,
Vénus (et ses
phases),
les satellites de Jupiter, Saturne, les taches solaires.
Giorgio
Abetti,
directeur
de l'observatoire d'Arcetri de 1921 à 1952, écrivit à cette
occasion
:
" Il apparut
que le meilleur objectif est celui qui possède une ouverture
plus
grande
que les
autres ; bien qu'il soit maintenant en plusieurs morceaux, il
présente
la
meilleure
qualité optique et un pouvoir de résolution d'environ 10 secondes
d'arc
;
avec
cette séparation angulaire, Galilée pouvait donc tout à fait distinguer
les
satellites
de
Jupiter. "
Cependant, les observations ne devaient
être
ni commodes,
ni
faciles, car on n'a jamais retrouvé ni chevalet, ni système
d'appui
qui aurait
permis
à Galilée de rendre sa lunette stable et de faciliter le
suivi
du mouvement
apparent
des astres. Ceci ne l'empêcha pas d'effectuer des mesures
très
précises
: selon
l'astronome américain Kowal, Galilée aurait même observé sans
le
savoir
la planète
Neptune, le 28 décembre 1612 à 3h45 du matin, 234 ans avant
sa
découverte
officielle
à partir des calculs de Le Verrier.
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